1978. Un entretien de Volf Sedikh avec Marie Romain Rolland | РУССКО-ФРАНЦУЗСКИЕ ДОКУМЕНТЫ И АРХИВЫ | ARCHIVES ET DOCUMENTS FRANCO-RUSSES

1978. Un entretien de Volf Sedikh avec Marie Romain Rolland

 ///Romain Rolland. Nous avons noué à cette occasion des échanges fructueux amicaux avec une des responsables de la Bibliothèque, Vera Burtseva. Elle nous a fait connaître Volf Sedikh écrivain, journaiste qui fut cor- respondant de la Pravda à Paris2 dans les années 1968. Plus tard, en tant que fondateur des Editions du Progrès à Moscou et des nombreux ouvrages de Romain Rolland qu’il édita dont, en 1976, celui de Tamara Motylova, Romain Rolland, il eut l’occasion de contacts fréquents avec Marie Romain Rolland la veuve de l’écrivain.

A l’occasion d’un voyage en France qu’il faisait en juin 2017, avec son épouse Svetlana Pankova et son fils Yuri Pankov nous lui avons demandé de faire un détour par Clamecy pour venir évoquer Romain Rolland et sa femme Marie, née Koudacheva. Il fut reçu le 10 juin à l’Hôtel de Ville de Clamecy par Claudine Boisorieux, maire de Clamecy.

Lors de son intervention, Volf Sedikh aborda les re- lations entre Tolstoï et le jeune Romain Rolland, s’ar- rêta, notamment, sur Rolland fervent défenseur des révolutions russes de février et octobre 1917 et nous fit entendre la voix de Marie Romain Rolland dans un en- registrement effectué lors d’une interview qu’elle lui ac- corda le 3 juillet 1978.

Volf Sedikh a formé le vœu d’installer dans une maison de Moscou, où Rolland avait logé durant son voyage de 1935, un lieu qui serait dédié à l’écrivain et où les jeunes écoliers moscovites pourraient découvrir son œuvre. Il a souhaité que l’Association et la Ville de Clamecy le soutiennent dans sa démarche.

Volf Sedikh – … On garde toujours la maison de Vézelay ?
Marie Romain Rolland – Oui, mais je ne garde pas beaucoup de choses à Vézelay, parce que Vézelay est une ville toute petite, très bourgeoise, où on sait que Romain Rolland est très célèbre et c’est tout. C’est une ville où viennent les touristes de tous les pays parce que Vézelay est célèbre par une croisade prêchée par Saint Bernard. Là-bas sont venus des rois – Richard Cœur de Lion, roi anglais, le roi Louis VII de France. C’est à cause de cela que cette ville est tellement célèbre. Puis il y a une basilique, une très grande église qui a été construite au XIIIème siècle et qui s’appelle Sainte- Madeleine. Les catholiques du monde entier viennent pour baiser les « Moschi » de Sainte Madeleine.

A l’occasion d’un voyage en France qu’il faisait en juin 2017, avec son épouse Svetlana Pankova et son fils Yuri Pankov3 nous lui avons demandé de faire un détour par Clamecy pour venir évoquer Romain Rolland et sa femme Marie, née Koudacheva.

Il fut reçu le 10 juin à l’Hôtel de Ville de Clamecy par Claudine Boisorieux, maire de Clamecy.

Lors de son intervention, Volf Sedikh aborda les re- lations entre Tolstoï et le jeune Romain Rolland, s’ar- rêta, notamment, sur Rolland fervent défenseur des révolutions russes de février et octobre 1917 et nous fit entendre la voix de Marie Romain Rolland dans un en- registrement effectué lors d’une interview qu’elle lui ac- corda le 3 juillet 1978.

Alors, donc, c’est une ville extrêmement célèbre, mais comme elle est toute petite, les personnes qui vien- nent y passent une journée. Dans la maison de Vézelay, il ne faut pas qu’il y ait des choses compliquées sur Romain Rolland. Il faut que ce soit simple. Par exemple une table avec une grande vitre dessus et sous la vitre ce qui est le plus connu de Romain Rolland : « Au-dessus de la mêlée », « Jean-Christophe », un texte qui peut donner une idée générale. Et puis, il y aura des photos sur les murs qui parleront de Clamecy, parce que Clamecy est une ville assez grande. Il y a 6 000 habi- tants, il y a des hôtels. Il y a là-bas un très bel hôtel du XVIIème siècle, transformé en un « Centre culturel Romain Rolland ». Les gens passant à Vézelay voudront voir Clamecy, c’est à une trentaine de kilomètres. A Clamecy, il y a des salles avec des vitrines et dans les vitrines, il y a beaucoup de choses : des livres sur la Rus- sie, des livres sur Colas Breugnon. Voilà mon idée du musée.

Volf Sedikh – Et combien d’années avez-vous passées avec Romain Rolland à Vézelay au total ?
Marie Romain Rolland – Nous avons acheté la maison juste avant la guerre, en 1938. Romain Rolland ne vou- lait pas mourir en Suisse pour plusieurs raisons : tout d’abord parce qu’il était Français ; secondement, s’il était resté en Suisse, nous aurions dû payer, moi et Madeleine, sa sœur, le droit d’héritage double – pour la France et pour la Suisse – on aurait été ruinées. Il ne voulait pas habiter Clamecy parce que Clamecy est une ville très politique, ouvrière, où il y a des gens de droite, des gens de gauche qui se disputent etc. Et Romain Rolland avait horreur qu’on se dispute autour de lui. Quand on se dispute de loin, il veut bien. Et s’il allait habiter dans la ville, tout le monde serait venu lui dire : vous pensez ceci, ou vous pensez cela ? Et il aurait dû tout le temps se mêler de leurs affaires. D’ailleurs, il n’aimait pas Clamecy. A Vézelay, il y avait une maison très belle, très bon marché, que nous avons décidé d’acheter.

Volf Sedikh – C’est à dire que vous avez passé les an- nées de guerre là-bas ?
Marie Romain Rolland – Nous avons passé l’Occupa- tion là-bas. Et comme Romain Rolland avait été extrê- mement anti-nazi, très violemment, je m’imaginais qu’il serait arrêté immédiatement. Mais les Allemands n’ont même pas fait de perquisition chez nous. Et malheureu- sement, j’étais tellement inquiète qu’on vienne perqui- sitionner que j’ai brûlé tous les journaux russes que nous recevions. Mais tous les Allemands n’étaient pas nazis. Je brûlais les journaux dans la cheminée et les soldats qui faisaient la cour à ma bonne lui disaient : « dire pa- tronne pas brûler journaux – voir journaux sortir par la cheminée ». Donc ils savaient que si je brûlais des choses, c’étaient des choses que les nazis ne devaient pas voir.

Volf Sedikh – Et vous avez passé combien d’années en Suisse avec Romain Rolland ?
Marie Romain Rolland – Romain Rolland m’a fait venir deux fois avant de me garder tout à fait. Il était un Français raisonnable de 63 ans, qui s’était détaché de la vie, qui croyait qu’il ne serait plus jamais amoureux, il était dans l’Esprit. Moi, je suis devenue amoureuse de lui.

Je pense que les Allemands n’ont pas touché à Romain Rolland à cause de Jean-Christophe. Ce n’est pas à cause de Beethoven, mais c’est à cause du Traité de Versailles, parce que ce traité était tellement dur pour l’Allemagne. En 1923 en Allemagne, les enfants allaient à l’école sans manger. C’est tout à fait normal qu’il y eut la revanche. La Ruhr était occupée par la France jusqu’à 1923. Arrive un monsieur qui s’appelle Hitler, qui aime les petits enfants, qui reprend la Ruhr sans faire la

Et puis en 1928, on a réédité Jean-Christophe et je l’ai relu et tout à coup je suis devenue amoureuse de Romain Rolland. Je lui ai écrit. Au début il était effrayé de cette Russe qui était folle, qui avait trente ans de moins, qui avait déjà eu des amours, donc elle ne l’ai- merait pas pour toujours, peut-être cela ne durerait qu’un petit peu ? Il a voulu d’abord me voir naturellement. Et c’est Gorki qui s’est occupé de moi. Grâce à Gorki j’ai eu un passeport. Romain correspondait avec lui. Il m’a fait venir une fois, je suis restée trois semaines. La Suisse ne reconnaissait pas la Russie. Romain Rolland m’a demandé de retourner en Russie. J’avais peur que

Et puis les Allemands étaient en principe des gens un peu anti-sémites ; c’est seulement après qu’on s’est rendu compte que c’était horrible…

Romain est à Paris en 1919. Il rentre en France au moment où sa mère est morte. Il rentre en France et il entend les canons qui tonnent. Il se demande ce que c’est et puis il écrit : « C’est la paix, c’est la signature de la paix », et les dernières lignes : « Cette triste paix, en- tracte dérisoire entre deux massacres. » Il était sûr que les Allemands auraient leur revanche.

Alors les gens du peuple, qui étaient pauvres, qui crevaient de faim, ont marché pour Hitler parce qu’il leur a donné du travail ; les junkers ont marché parce qu’ils avaient été offensés, ils voulaient se venger. Au fond les junkers étaient anti-hitlériens, mais ils espé- raient gagner la guerre contre la France et puis renverser Hitler. Ils ne l’ont pas renversé, ils ont fait des complots, ils ont été pendus.

Je pense qu’ils n’ont pas touché à Romain Rolland parce qu’il savait qu’il était contre le traité de Versailles.

Volf Sedikh – C’était quand ?
Marie Romain Rolland – Ça a commencé en 1928. Je lui ai écrit pour la première fois en 1924, parce que j’avais lu Jean-Christophe. J’étais emballée par Jean- Christophe, pas par Romain Rolland. J’avais à ce mo- ment-là un ami russe qui était marié. J’ai raconté cela à Romain Rolland et il m’a dit que c’était très mal et il m’a fait la morale. Alors j’étais fâchée et j’ai cessé de lui écrire.

Gorki ne renouvelle pas le passeport suisse. Par deux fois Rolland m’a fait retourner et la troisième fois il m’a gardée. Mais nous ne nous sommes pas mariés immé- diatement parce que sa sœur était jalouse au début. Elle voulait bien qu’il ait une maîtresse, mais pas une femme. Et il a fallu attendre quatre ans pour qu’on devienne amies. Alors nous nous sommes mariés en 1934 en Suisse. Et en 1938, il a voulu rentrer en France. En somme j’ai vécu avec lui à partir de 1929 jusqu’à sa mort en 1944. J’ai beaucoup travaillé avec lui, c’était très dur, parce qu’il était toujours attaqué, il se mêlait de tout. On a fait des livres sur lui qui sont absolument faux. Il y a un livre de Zweig qui fait de Romain un saint homme qui n’aime pas les femmes. Mais Romain a eu des amours dans sa vie, il a eu quatre grands amours. D’abord il était tout jeune, amoureux d’une Italienne qu’il n’a pas épousée, puis il a été amoureux de Clotilde Bréal, une juive française qu’il a épousée. Il a divorcé en 1902, puis il a eu une maîtresse, ça n’a pas duré très longtemps, c’était une flamande beaucoup plus jeune que lui ; puis il a eu longtemps une maîtresse qui était américaine. Heureusement il ne l’a pas épousée parce qu’elle est devenue tout à fait folle. Et puis il a eu moi. C’était un homme très sérieux ce qui est très rare chez les Français.

Volf Sedikh – Parmi les hommes politiques ou les écri- vains français et étrangers qui était préféré par Romain Rolland ?
Marie Romain Rolland – Naturellement en Russie c’était Tolstoï. Tolstoï était un écrivain qu’il admirait pas seulement pour ses idées. Romain avait 20 ans, il se po- sait des questions, il n’était pas un garçon français qui voulait s’amuser et gagner de l’argent. Il voulait faire des choses dans sa vie. Alors il lui a écrit pour lui de- mander comment vivre. Et Tolstoï lui a répondu. Puis il lui a écrit encore. Mais Tolstoï n’a plus jamais répondu. Il admirait Tolstoï surtout à cause de son oeuvre Guerre et Paix. Shakespeare en Angleterre, Tolstoï en Russie, Dante en Italie, Goethe en Allemagne. Voilà les grands hommes qu’il admirait.

Volf Sedikh – Et parmi les grands hommes vivants en- core, il était lié avec qui ?
Marie Romain Rolland – Romain Rolland était un homme beaucoup plus compliqué que l’on ne croit. C’était un homme qui comprenait tout. Quand il était jeune quelqu’un avait écrit sur lui un article qui avait pour titre « Le Dom Juan des idées ». Il m’a dit un jour que quand il discute avec un de ses adversaires il se met tellement dans la peau de l’adversaire qu’il vient un mo- ment où il doit s’arrêter parce qu’il se met à penser comme l’adversaire tant il le comprend. Les admirateurs de Romain Rolland sont en général des gens de gauche.

Ils ont raison car il est de gauche. Mais il y a des gens de droite qui admirent Romain Rolland.

Quand ce livre a été publié (L’Indépendance de l’Es- prit. Correspondance Jean Guéhenno et Romain Rolland ndlr) chez Albin Michel, nous faisions des dé- dicaces ensemble avec Guéhenno. A ce moment-là Gis- card d’Estaing était président de la République. Guéhenno faisait les dédicaces à ses amis, moi je faisais les dédicaces à mes amis ; quand c’était des amis com- muns, on faisait des dédicaces en même temps. Soudain il m’a dit : « Je suis obligé de faire une dédicace à M. Giscard d’Estaing. » Il détestait Giscard d’Estaing puisqu’il était socialiste. Mais Giscard d’Estaing devait inviter le lendemain à dîner chez lui les Académiciens. Et Guéhenno était académicien. Pour s’excuser, croyant que je trouvais cela horrible, il me dit : « Je suis obligé… ». Et il a écrit : « M. le Président, avec toute ma différence … etc. » Ce qu’il ne pensait pas. Et moi, quelques jours avant j’avais été chez des amis qui ont un grand appareil de TV et ils m’ont invitée à venir écouter une conversation entre Giscard d’Estaing et un grand journaliste qui s’appelle Jacques Chancel. Alors il y a eu une conversation entre Chancel qui était gros, assis dans un très bon fauteuil et Giscard d’Estaing, très mince, assis sur une petite chaise Louis XV. Chancel lui posait ce qu’on appelle des « colles ». Et chaque fois l’autre a répondu : « Je vais réfléchir » et il s’en sortait très bien. Et à la fin Chancel lui a demandé d’un ton iro- nique : « M. le Président, qu’est ce qui vous fait agir : la raison ou le sentiment ? » Giscard a hésité un moment etiladit:«Lesentiment.»Etçam’aplupuisqueje suis femme. Les hommes c’est la raison, et les femmes – c’est le sentiment.

Une fois à l’ambassade soviétique où j’allais sou- vent, on m’avait dit : « Notre secrétaire politique vou- drait faire votre connaissance. ». Ce secrétaire m’a dit « Maria Pavlovna nous vous croyons bolchevikchka. » Je lui ai dit : « Méfiez-vous. » « Pourquoi ? » « Parce que je suis une femme et la femme c’est le sentiment ». Quand j’étais à Moscou, j’étais très amoureuse d’un communiste et à cause de lui j’ai voulu adhérer au Parti communiste. Il m’a dit : « Non, non, ne faites pas ça parce que le jour où vous ne m’aimerez plus, vous n’ai- merez peut-être plus le parti communiste. » Alors ce se- crétaire politique n’était pas content et j’ai demandé à sa femme si j’avais raison, et elle a dit oui.

Volf Sedikh – Je suis au courant que Romain Rolland a vu quelquefois Maurice Thorez.
Marie Romain Rolland – Il aimait beaucoup Maurice Thorez. Maurice Thorez était un homme simple et très honnête et Romain Rolland a eu de l’influence sur lui. Thorez a écrit un livre avant la guerre Fils du peuple où il parle très gentiment de Romain Rolland. Et puis arrive

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la guerre, arrive l’Occupation, arrive le général De Gaulle. Maurice Thorez réédite son livre et il m’envoie un exemplaire avec une dédicace. J’ai lu un peu ce qu’il disait de Romain Rolland, mais je n’ai pas lu jusqu’à la fin. Et un jour j’ai lu jusqu’à la fin et j’ai appris que Romain Rolland était fier d’appartenir au Parti Commu- niste Français. Romain Rolland n’a jamais appartenu au Parti Communiste Français. Il disait lui-même : « Si j’étais du Parti et que je le soutienne, on dirait, bien sûr il le soutient puisqu’il est du Parti. » Mais il n’est pas du Parti et tout de même il le soutient. Ça vaut beaucoup plus. Alors je me dis : ce n’est pas possible que Thorez écrive ça. Je lui ai envoyé une lettre à son adresse per- sonnelle, mais il ne m’a pas répondu. Parmi les membres du comité français il y avait un homme qui s’appelait Georges Friedman, juif, qui était du PC. Il était million- naire. Avant la guerre il avait donné un million au Parti Communiste et un autre à la recherche sur le cancer. Parce que sa femme était morte du cancer. Ce Georges Friedman était allé en Russie et avait fait un livre qui avait pour titre : De la Sainte Russie à la Russie des So- viets. Romain Rolland l’a lu et a dit que c’était un très bon livre. Il a dit aussi qu’il y avait un homme en France qui s’appelait Jacques Doriot qui avait été à la tête du PCF, au début et qu’il avait beaucoup plus d’influence que Thorez, qui était un homme simple. Doriot c’était un provocateur. Il est devenu un traître. Doriot avait dé- moli le livre de Friedman dans L’Humanité. Friedman était tellement offensé qu’il a quitté le Parti. Ce brave Friedman m’a dit qu’il fallait protester. J’ai dit : « J’ai écrit à Thorez mais il ne me répond pas. » Je recevais des coupures d’une revue d’extrême-gauche où on atta- quait Thorez. On disait que Thorez ne savait même pas écrire, que ce n’était pas lui qui écrivait ses livres. Alors j’ai deviné ce qui s’était passé. Son premier livre avait été écrit par lui-même, mais après il est devenu ministre sousDeGaulleetiladitàundesescamarades:«Tu vas le mettre à jour et, comme après la guerre il était venu nous voir à Vézelay le jeune communiste chargé de cette fonction a cru que Romain Rolland était du Parti communiste. Donc ce n’était pas Thorez qui avait écrit cela. Un jour j’étais à l’Ambassade soviétique. Il y avait Thorez. Quand il m’a vue il a eu un air effrayé mais je lui ai serré la main et je l’ai même embrassé.

Volf Sedikh – Et en ce qui concerne Marcel Cachin et Romain Rolland ?
Marie Romain Rolland – Romain Rolland a très peu connu Marcel Cachin et il y a eu une histoire bizarre. Nous sommes allés en Russie. Romain n’avait dit à per- sonne qu’il voulait aller en Russie parce qu’il ne voulait pas que les journalistes viennent le voir et qu’on l’em- bête. Il m’a dit : « Je vais voir Gorki et Gorki nous at- tend. » Comme Romain était malade et fatigué on a

coupé le voyage en train en morceaux. D’abord nous sommes allés à Zurich. On a passé une nuit dans un hôtel à Zurich. Puis on est parti pour Vienne où on a passé deux jours. Puis deux jours à Varsovie, etc.

Nous étions aux wagons-lits ; on avait un comparti- ment à deux lits. Dans le train qui allait à Varsovie, du compartiment à côté, sortit tout à coup Cachin qui est entré chez nous et a dit : « Monsieur Romain Rolland ? ». C’était un hasard. C’est drôle, il y a eu une quantité de photos qu’on a prises quand nous sommes arrivés à Moscou et on voit Romain sur le quai de la gare avec Cachin à ses côtés. Tout le monde a cru qu’il a fait le voyage avec Cachin, qu’il a été envoyé par le PCF. Et c’est absolument faux.

Volf Sedikh – Mais j’ai vu une photo avec Marcel Ca- chin, Romain Rolland et Paul Vaillant-Couturier, tous les trois.
Marie Romain Rolland – Je vous dirai d’où est cette photo. En 1936 pendant le Front Populaire on jouait une pièce de théâtre de Romain Rolland à l’Alhambra qui s’appelait 14 Juillet. On l’a jouée trente-deux fois. Romain y a assisté deux ou trois fois. Vaillant-Couturier et Cachin y sont venus aussi et on nous a photographiés ensemble. C’était un hasard aussi. Il y avait aussi Pisca- tor, un communiste allemand. Romain Rolland a corres- pondu avec Vaillant-Couturier, il y a quelques lettres de lui.

Volf Sedikh – Est ce qu’il était lié avec Jean-Richard Bloch ?
Marie Romain Rolland – Oui Romain Rolland a écrit un livre « Le Voyage intérieur » dont Bloch a publié des morceaux.

Apres sa mort, j’ai trouvé des extraits du Voyage intérieur où il y avait la phrase suivante : Romain Rolland a toujours été récupéré, c’est-à-dire qu’un pa- cifiste disait qu’il était pacifiste. Un communiste disait qu’il était communiste etc.

Lui il avait horreur qu’on l’enferme dans une espèce de cellule. Et dans son Voyage intérieur il y a la phrase suivante où il se défend de ses amis : « Chacun veut me faire tel que lui il est. Vive les ennemis : au moins eux ils me permettent d’exister ».

Alors je continue l’histoire de Guéhenno, qui écrit à Giscard d’Estaing : « Avec toute ma différence », et moi, j’écris à côté : « Pour Valéry Giscard d’Estaing parce que je l’ai entendu dire qu’il agit par le sentiment ». Et il m’a écrit une lettre de remerciements. Je dois dire entre nous que je préfère Giscard d’Estaing à Mitterand. Je crois que Giscard d’Estaing était plus ouvert du côté de la Russie que ne l’est Mitterand qui déteste les Russes. Giscard ne voulait pas la guerre tandis que Mit- terand veut être armé. Contre qui ? Contre la Russie ?

Un des meilleurs amis de Romain Rolland dans sa jeunesse était Louis Gillet qui était catholique. Il adorait Romain Rolland, il écoutait ses cours et il y a eu une cor- respondance entre eux.

pas nazie et Romain Rolland non plus.
Vous êtes communiste, vous avez un fils qui devient

Dès1906etjusqu’àlafindesavie,ilaeuunami qui s’appelait Alphonse de Châteaubriant. Il était un très grand écrivain mais il était un peu fou. Il était d’origine allemande. Par hasard nous étions à Paris pendant l’Oc- cupation, on a téléphoné de l’ambassade nazie. C’était un professeur qui disait : « J’écris un livre sur Alphonse de Châteaubriant, je sais que vous le connaissez. Je vou- drais vous voir. » Romain Rolland l’a reçu et lui a ra- conté qu’Alphonse de Châteaubriant était d’une branche latérale de René de Chateaubriand. Mais ce professeur a ri et dit : non, non, il est d’origine allemande. Vous savez que dans les temps anciens le patriotisme n’exis- tait pas. Sous le roi Louis XV les officiers français pou- vaient se mettre au service du roi de Prusse et vice versa. Un certain officier allemand qui s’appelait Van Breden- beck est venu chez le roi qui lui a donné une terre à Châteaubriant c’est pour ça qu’il s’appelait Châteaubriant de Bredenbeck. Jamais il n’a dit à Romain Rolland qu’il avait cette origine allemande, quoique Romain [fût] son meilleur ami. J’ai aussi eu des ennuis avec les communistes à cause de Châteaubriant. Un communiste bulgare qui s’appelle Bratanov, un très brave homme d’origine paysanne, est venu me voir : « Qu’est-ce que vous avez publié ? » J’ai dit : La cor- respondance Châteaubriant — Romain Rolland. – « Si vous avez publié ça, vous êtes nazie. » Non je ne suis

nazi. Vous seriez furieux contre lui, mais vous l’aimerez quand même c’est votre fils. Château était fou d’abord, puisqu’il avait caché à Romain Rolland qu’il était alle- mand ; il avait des idées très allemandes sur le point de vue de la mystique. Les Allemands se posent des ques- tions et font des théories folles. Parmi les théories folles de Château il m’avait dit que ce n’était pas les Russes qui avait inventé le bolchevisme, que c’était l’église ca- tholique au 9ème siècle. Il a vu dans un village français une église en ruine, il y avait une colonne et en bas de la colonne je ne sais pas quels signes, mais d’après ce signe, il a su que le bolchevisme avait commencé en France. Il était nazi, il était président de la collaboration, mais il n’a jamais dénoncé personne. Il faisait des dé- marches pour tout le monde, il n’était pas méchant, mais un jour il est venu nous voir. Romain Rolland était fati- gué et il est parti. Tout à coup Château a dit la chose sui- vante : « Dieu s’est incarné trois fois sur la terre, la première fois c’était le Christ, la seconde fois c’était Nietzsche, la troisième fois c’était Hitler », alors je me suis mise à rire parce que même Hitler et les plus grands hitlériens n’ont jamais dit que Hitler représentait Dieu sur terre. C’est vraiment de la folie. Je lui ai proposé de parler d’autre chose. Quand un homme est fou il n’est pas responsable de ce qu’il fait.

Avec nos sincères remerciements à Volf Sedikh